Je veux juste vivre…

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« Salut, juste pour te dire que j’ai trouvé un job, et voilà que j’ai commencé à travailler il y a 6 jours et que le boss veut coucher avec moi. Cela a commencé l’après-midi du mercredi avec des mains baladeuses dans mon dos et qui descendaient jusqu’au niveau de mes hanches. J’ai poliment retiré ses mains à chaque fois mais on dirait que jour après jour, son envie de coucher avec moi augmente. Je voudrais juste finir le mois et avoir mon salaire mais je ne sais pas si je pourrai tenir car ce vendredi encore ça a repris de plus belle et il est violent avec moi. Je vais arrêter plus tôt que prévu. Excuse-moi pour le dérangement mais on dirait que je n’ai pas trop le choix. »

C’est ainsi qu’a démarré mon week-end, par ce message que j’ai reçu de la part d’une amie, mieux une petite sœur – bien sûr parce que je la considère comme telle -. Le message m’est parvenu le samedi, hier donc, aux environs de 2h40 du matin mais étant dans les bras de Morphée, je ne l’ai lu qu’à mon réveil vers 6h. Pourquoi pense-t-elle me déranger, alors qu’elle sait bien que ce n’est jamais le cas ?

Elle, c’est Candy*…

J’ai fait sa connaissance il y a un peu plus de 5 ans, à l’époque où elle faisait la même classe que mon petit frère. Nous avons vite sympathisé et sommes devenus amis. Au fil du temps, j’ai appris à la connaître, elle s’est senti en confiance et me demandais souvent conseil par rapport à certains problèmes, bref, elle se confiait.

Orpheline de père, benjamine d’une famille de 3 enfants avec une mère dont l’état de santé se dégrade de jour en jour, Candy doit se battre pour payer elle-même ses frais de scolarité et assurer sa survie, après que son tuteur eût refusé de s’en acquitter suite à son deuxième échec au baccalauréat il y a deux ans. Pour cela, il lui arrive de cumuler plusieurs jobs de vacances et, je ne vais pas vous mentir, elle accepte parfois les cadeaux de la part de ses nombreux courtisans, sans plus. – Oui, je sais, à ce niveau vous vous demandez sans doute « qu’est-ce qu’il en sait lui ? » Vous avez sans doute raison, je n’en sais rien mais de nos conversations, de ses confidences, j’ai juste choisi de lui faire confiance et de la croire sur parole -.

Il y a plus d’une quinzaine de jours déjà que Candy m’a rendu visite à la maison pour s’enquérir de mes nouvelles et m’annoncer que suite à son nouvel échec au baccalauréat, elle avait l’intention de laisser tomber ses études afin de trouver un job et prendre soin d’elle, mais aussi et surtout de la santé de sa maman. Elle m’a parlé de sa tante qui commençait à voir d’un mauvais œil ses échecs et qui ne ratait pas une seule occasion de le lui rappeler. J’ai essayé de lui faire entrevoir d’autres issues mais j’étais persuadé de ne pas être parvenu à la convaincre ; les faits ne jouant nullement à mon avantage. Une chose était cependant sûre, c’est bien à contrecœur qu’elle prenait une telle décision mais elle n’avait, disait-elle, pas le choix. Nous en étions donc là quand j’ai reçu ce SMS hier.

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Premières réflexions…

C’est quoi cette histoire ? Suis-je en train de rêver ? De quoi parle-t-elle ? – oui je sais, c’est plutôt bête comme question mais que voulez-vous ? Le sommeil à peine dissipé, les idées s’entremêlent malgré le fait que le message soit on ne peut plus explicite -. Hop ! Sans ménagement, sans chichis – entendez par là que je ne m’étais pas encore levé du lit et donc que je ne m’étais pas encore brossé les dents (oui, la précision en vaut la peine) -, je prends l’initiative de lui passer un coup de fil. Une, deux, trois, puis quatre sonneries plus tard, elle décroche.

Allô !

  • Moi : Oui allô Candy, c’est Axel, comment tu vas ? – je l’appelais avec un de mes innombrables numéros qui lui étaient encore inconnus –

Pour toute réponse, je n’ai eu droit qu’à un « hum ! ». Je poursuis en lui demandant de m’excuser de lui poser cette question difficile mais, « que s’est-il passé ? ».

  • Elle : Tu te souviens de notre conversation de la fois passée ? Tu te souviens du job dont je t’ai parlé ?
  • Moi : Oui tu m’as parlé d’un truc pareil mais tu ne m’as donné aucun détail.
  • Elle : Il s’agit d’un poste de gérante dans une boutique nouvellement inaugurée et située Place Tragédie*.
  • Moi : Attends, tu parles de la boutique de Charles Machin* ?
  • Elle : Axel, tu le connais ?
  • Moi : … silence …

Franchement, je vous assure que je n’ai pas eu le courage de lui répondre oui. Oui, j’avais honte de lui dire que je connaissais ce monsieur qui passe pour un exemple aux yeux de tous. Pas que je lui connaissais ce côté pervers et détraqué mais j’avais déjà eu une altercation avec lui parce qu’il avait osé s’exprimer en généralisant de façon péjorative les caractéristiques de son auditoire – dont je faisais « accidentellement » partie bien sûr ! -. Mal lui en a pris, alors depuis ce jour, il s’est installé une certaine « politesse obligée » entre nous, sans plus.

  • Elle : Je fais d’habitude les comptes avec lui après que tout le monde soit parti. Hier, voilà qu’il met du porno et m’ordonne de lui caresser le p****, de l’embrasser, qu’il veut mettre son p**** en moi. Pas possible Axel, j’ai fait quoi à Dieu ? A force de m’être débattue, j’en ai mal partout. Je ne peux pas raconter ça à mon frère, il ne comprendrait pas et s’en prendra à moi. Je ne peux non plus pas en parler à ma mère, je risque de la tuer. Aide-moi Axel, je t’en supplie !

A ces mots, elle éclata en sanglots et je me suis surpris à essuyer une larme qui perlait sur ma joue. De peur de lui emboîter le pas, je lui ai dit de se calmer et de se reposer, tout en lui promettant que je passerai la voir dès que possible.

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Toute la journée, je ne cessais de penser à cette histoire ; ces genres de choses que j’avais toujours pensé qu’elles n’arrivaient qu’aux autres. Non, cela ne pouvait pas être vrai. Lorsque finalement je mis pied chez elle et que je vis ses avant-bras et bras recouverts de bleus, je compris alors tout ce qu’elle avait pu endurer, et j’admirai encore plus le courage dont elle avait fait preuve en se confiant à moi. Je lui ai conseillé de porter plainte, elle m’a juste répondu : « A quoi bon ? Cela ne servirait qu’à rendre l’affaire publique et sincèrement je n’ai ni l’envie, ni la force de me battre. Tout ce que je veux, c’est vivre ». Presque instantanément, je lui ai dit d’abandonner ce job.

Je n’aurais jamais imaginé que plus d’un an après avoir abandonné mon blog, mon premier billet de cette année aurait pour sujet une pareille tragédie. Oui, cela n’arrive pas qu’aux autres. J’ai toujours pensé que les victimes de harcèlement sexuel avaient tendance à dramatiser les faits mais là je me rends compte de mon erreur. Je vivais dans une bulle, un monde imaginaire dans lequel tous les hommes se comportaient comme mes amis et moi, en parfaits gentlemen alors qu’il n’en est rien. L’histoire de Candy m’a ouvert les yeux et m’a fait comprendre que le monde dans lequel je vis est bien plus dangereux qu’il ne paraît.

Une nouvelle fois cette question qui sans cesse me tourmente refait surface : « Pourquoi faire des enfants quand on sait qu’on ne peut pas en prendre soin ? ». Oui, il est facile pour toi de dire cela, de t’en prendre aux parents car tu ne connais rien de la vie, pensez-vous. Soit ! Je pense que lorsque l’on prend la responsabilité de donner naissance à un enfant, un innocent, un être qui n’a pas demandé à naître, il faut assumer son acte jusqu’au bout, et ce quoiqu’il puisse arriver. Etant moi-même papa et chômeur depuis un an déjà – ça c’est une autre histoire -, je sais que cela n’est pas chose aisée d’éduquer et de prendre soin de son enfant, de ses enfants ; mais à qui la faute ? Nos enfants doivent-ils payer les coups durs que nous fait vivre la vie ?

Au moment où je mets en ligne ce billet, je ne puis m’empêcher d’imaginer ce que Candy a bien pu vivre durant la nuit du vendredi au samedi matin. Je n’arrive même pas à me mettre à sa place. Je ne peux imaginer pareil scénario pour ma fille, mon fils, ma sœur, mon frère. Qu’est-ce qui a bien pu passer par la tête de son employeur ? Je n’arrive pas à me l’expliquer. Une chose est sûre, j’espère juste que Candy survivra à cette épreuve et que la vie finira par lui sourire car, comme tous les enfants, elle le mérite.

 

* Les noms ont été changés pour des raisons d’anonymat